Je me suis acheté un beau parapluie, alors que j’en avais déjà deux dans mon auto. J’ai cherché mon pantalon d’hiver partout dans la maison, alors qu’il était simplement rangé dans un tiroir de ma commode.

Vraiment, la mémoire est une faculté qui oublie et je ne souffre pas d’Alzheimer.

En tant que médiatrice, j’ai souvent rencontré des personnes qui n’avaient aucun souvenir de paroles ou d’actions jugées déplacées par l’autre! J’ai aussi fait des enquêtes en matière de harcèlement psychologique pour découvrir le même phénomène auprès de témoins d’une même scène. Avant de connaître la mécanique d’enclenchement des souvenirs, je croyais que les personnes mentaient ou ne présentaient qu’une partie de la réalité. Maintenant, j’offre le bénéfice du doute à tous grâce à mes expériences personnelles et à mes connaissances en neurosciences, que je vulgarise pour vous dans cette chronique.

Tout d’abord, il existe des principes d’encodage, de stockage et de rappel des souvenirs dans notre mémoire à long terme. Quatre facteurs entrent en ligne de compte pour que nous puissions mémoriser les informations :

  1. Le degré d’attention, de vigilance, de concentration;
  2. L’intérêt, la motivation, le besoin ou la nécessité;
  3. L’état émotionnel et la valeur attribuée au matériel à mémoriser;
  4. L’environnement dans lequel a lieu la mémorisation.

Les autres parapluies avaient été laissés dans mon véhicule par mon conjoint et je n’y avais pas été attentive. Quand j’ai rangé mon pantalon, mon souhait était de le garder à porter de main. Ce n’est que trois heures plus tard que mon inconscient a fait resurgir ce souvenir. Probablement que mon intérêt et mon besoin à les retrouver ont fait leur œuvre.

Par ailleurs, je me souviendrai toujours du contexte de la naissance de mes jumeaux qui fut un moment à la fois heureux et inquiétant. Le premier regard avec mon conjoint, un véritable coup de foudre, restera gravé dans ma mémoire à jamais. En même temps, ces deux souvenirs se modifient de plus en plus avec le temps et chaque fois que j’y repense. Pourquoi donc?

Tout simplement parce que le cerveau enregistre les informations dans plusieurs zones différentes (sensorielles, spatio-temporelles, émotionnelles, visuelles, auditives, etc.). Par conséquent, il doit faire un effort pour rassembler toutes les informations. Il n’existe pas un livre de souvenirs, mais bien une multitude de pages imprimées en même temps et éparpillées. Ainsi, le souvenir resurgit avec des manques de précisions et le cerveau peut avoir besoin du temps pour le faire émerger. Mentionnons également que la mémoire fonctionne par association : une chose nous en rappelle une autre, et ainsi de suite. Le souvenir n’est pas un enregistrement fidèle. Ce qui est étrange, c’est qu’une fois extrait, le souvenir se réencode autrement dans notre cerveau. En fait, c’est une histoire qui se construit et se déconstruit avec le temps.

Est-ce que les souvenirs finissent par disparaître complètement? Non. On a même découvert que l’ADN pourrait contenir la mémoire de nos ancêtres. Dans le jargon scientifique, on parle alors d’« hérédité épigénétique transgénérationnelle ». Ce qui est clair, c’est qu’avec le temps, les souvenirs deviennent plus difficilement accessibles pour la conscience et perdent de leur immédiateté.

Bref, devant deux personnes en médiation qui ne se souviennent pas de la même chose, je trouve cela totalement normal. Je ne les considère plus de mauvaise foi et je ne recherche plus une vérité unique. De plus, la multitude de nos biais cognitifs implique que nous vivons parfois les choses de manière complètement opposée, presque comme si nous étions dans des réalités différentes.  Un souvenir n’est pas meilleur qu’un autre, il est tout simplement différent.

Je n’ai pas de lunettes roses et je sais bien qu’une personne peut mentir ou inventer des souvenirs. En fait, je préfère me concentrer sur le moment présent et sur l’idée que nous pouvons construire une réalité plus intéressante. Il y a longtemps que j’ai constaté qu’il n’y a pas de solution dans un passé basé sur des souvenirs incertains, détériorés ou enjolivés!