pardon

Ce serait si simple, donner de l’argent en échange d’un « vrai » pardon. Malheureusement, le pardon est une réalité plus complexe qu’elle n’y paraît. Cette année, j’ai agi comme médiatrice dans deux conflits marqués par ce thème. Dans le premier, un dirigeant est reconnu coupable d’avoir commis un seul acte grave de harcèlement psychologique. La victime a vécu une véritable offense avec comme conséquence des problèmes de santé physique et psychologique importants. En entrevue individuelle, elle m’exprime être prête à faire la médiation à la condition de recevoir des excuses sincères. Elle craint la rencontre, tout en désirant obtenir des explications. De l’autre côté, et dès les premières minutes de ma rencontre avec le dirigeant, celui-ci, ému aux larmes, m’explique les circonstances ayant mené à son geste, mais surtout ses regrets sincères. 

 

Dans le deuxième conflit, Laurette exige de ses trois frères, en signe de pardon, une donation de 5 000 $ à la Société protectrice des animaux. Le conflit dure depuis trois ans, et elle en veut terriblement à ses frères qui, selon elle, l’ont privée d’être actionnaire dans l’entreprise familiale. Laurette a décrit ses frères comme des manipulateurs et des fraudeurs à qui voulait l’entendre. La situation a dégénéré au sein de cette grande famille qui compte quatre autres frères et sœurs (huit enfants en tout). Leur mère, âgée de quatre-vingts ans, souffre énormément de ce drame qui a créé des clans. Depuis trois ans, les grandes et joyeuses réunions ont disparu. L’aîné décrète aux plus jeunes de se pardonner, et c’est lui qui me téléphone pour que je ramène la paix dans sa famille. J’aime les défis, et j’ai accepté celui-ci!

 

Ces médiations et d’autres situations personnelles m’ont rappelé à quel point le pardon est un cadeau précieux pour tout être humain. En fait, la vie en société implique de se heurter, de se blesser et de s’offenser. On n’y échappe pas, ce qui varie, c’est la gravité de l’offense et la façon de la recevoir et d’y réagir. Par conséquent, le pardon sera toujours d’actualité. J’ai relu mon ouvrage préféré sur le sujet, « Comment pardonner? », de Jean Monbourquette, qui décrit comme suit les quatre raisons pour lesquelles il est primordial de pardonner :

  1. Pour ne pas perpétuer en soi-même (autopunition, honte) ou envers les autres le mal subi alors que ces derniers n’ont rien à voir avec l’offense subie;
  2. Pour ne plus vivre du ressentiment ou de l’hostilité, et pour diminuer son stress, arrêter ses réactions défensives et rester en bonne santé mentale et physique;
  3. Pour vivre dans le moment présent avec bonheur, pour imaginer un bel avenir et pour cesser de ruminer une offense découlant du passé;
  4. Pour ne pas chercher dans la vengeance un remède inutile à sa propre souffrance et pour éviter un cercle infernal d’actions et de réactions violentes (bourreau-victime).

 

Dans la situation de harcèlement, la victime a véritablement pardonné à son agresseur. La victime me disait vouloir passer à autre chose, elle voulait guérir et comprendre. Le dirigeant a déclaré devoir se pardonner en premier lieu et, en même temps, qu’il ne pouvait vivre avec cet acte sur la conscience et qu’il devait réparer son erreur.

 

Dans le conflit familial, chacun désirait que la situation se règle. Certains vivaient même de la honte et ils se désolaient tous des conséquences. Ils pressentaient que le pardon leur apporterait la paix d’esprit. Toutefois, chaque clan avait ses exigences : Laurette exigeait une donation et les frères, une lettre adressée à toute la famille élargie pour rectifier la vérité. De plus, Laurette ne désirait aucunement dialoguer, et sa personnalité rigide et souffrante l’empêchait de s’ouvrir. Dans ma lettre de fermeture du dossier, j’ai déclaré l’impasse et j’ai recommandé la négociation d’une trêve, mais surtout la lecture de l’ouvrage précité.  

 

Le pardon a quelque chose de mystérieux et il ne s’achète surtout pas. On peut penser le vivre, alors qu’il reste des pas de géant à franchir. Toutefois, quand il se réalise, c’est une délivrance incroyable pour l’offensé. Parfois, l’offenseur n’en sait rien, car on peut pardonner à des morts, à des inconnus et même à des institutions! C’est une démarche de cœur et non intellectuelle, une démarche personnelle qui a pourtant le potentiel de sauver des milieux de travail et des familles. Le vivre pour soi-même ou en être témoin est une véritable grâce que je nous souhaite à tous pour la prochaine année.          

 

  

NB. Les données concernant mes dossiers sont complètement rendues anonymes et même transformées.