Gilbert se sent pris entre l’arbre et l’écorce depuis plusieurs mois. Cette semaine fut la pire. Il éprouve une oppression dans l’estomac, et la pensée de remettre sa démission lui trotte dans la tête.
La dernière restructuration, qui consistait à fusionner deux équipes de travail et imposer une nouvelle répartition des rôles et des responsabilités a tout chamboulé. En tant que chef d’équipe, il ne sait plus comment se positionner, même s’il comprend le mécontentement de sa troupe et la volonté d’innover de la direction de l’organisation.
Dans son équipe, trois salariés sur dix se sont mis à exprimer haut et fort leurs exaspérations. Les autres préféraient garder le silence. Une enquête était en cours à la suite d’une plainte de harcèlement, mais il n’en savait pas plus. Par ailleurs, Gilbert avait assisté à une solide prise de bec entre certains membres de la direction. Le bateau voguait sur une mer agitée, et Gilbert appréhendait désormais la démission de ses meilleurs matelots.
Il regagna un peu d’espoir quand le directeur général lui fit part de l’arrivée imminente d’un médiateur organisationnel. Du même coup, il craignait se voir être taxé d’incompétence! N’était-il pas lui-même un des capitaines du bateau? L’intervention fut annoncée lors d’une rencontre de groupe, en présence du médiateur. Un peu moins tendu, Gilbert tenait pour acquis que la direction des ressources humaines avait déjà brossé un portrait de la situation au professionnel qui les accompagnerait. Il avait hâte de partager sa vision et son point de vue.
Le médiateur rencontra tous les membres de l’équipe, incluant Gilbert, lors d’une rencontre d’une durée d’environ une heure. Les gens furent invités à participer à un sondage. Gilbert sentait une accalmie, l’attribuant au fait que tous pouvaient enfin s’exprimer, et que la direction se préoccupait vraiment de la qualité du climat de travail.
Trois semaines suivant le début de l’intervention, une seconde présentation eut lieu. Le médiateur leur brossa un portrait de la situation et des enjeux en découlant. On discuta de la gestion du changement, de la civilité. On y aborda aussi le partage des rôles et des responsabilités. Gilbert ne fut pas surpris des conclusions du médiateur. Il en alla autrement pour Louis et Mario, les deux têtes fortes de l’équipe, qui critiquèrent le rapport. Ces derniers exerçaient depuis des années un leadership négatif, situation qui datait d’avant la restructuration. Gilbert en voulait d’ailleurs à la direction, à qui il reprochait d’avoir toujours tenté d’acheter la paix avec eux.
À la suite du processus, plusieurs des pistes de solution proposées par le médiateur furent retenues et mises en œuvre. Quelques semaines plus tard, un des vice-présidents démissionna, et bien des rumeurs se sont propagées avec son départ. Évidemment, on ne saurait jamais vraiment le fin fond de l’histoire.
Gilbert, lui, décida de demeurer dans l’entreprise. Il ne lui restait que cinq années avant de prendre sa retraite. Il habitait à trois kilomètres de son lieu de travail, les conditions étaient bonnes, et un nouveau climat de travail plus sain et agréable se développait peu à peu. On proposa du coaching, de la formation et des remaniements de postes. Louis et Mario se virent assigner des responsabilités qui permirent d’établir une distance entre eux qui profite à toute l’équipe.
Restait la grande question de Gilbert : pourquoi avoir attendu que la situation dégénère à ce point avant d’agir? Alexandra et Marc-Antoine, les deux nouveaux employés brillants, créatifs et pleins de potentiels avaient démissionné et exerçaient dorénavant leur métier chez un compétiteur. Un membre apprécié de la haute direction avait aussi quitté, et même lui y avait presque laissé sa santé.
Apprendre à la dure n’est jamais intéressant, autant pour les travailleurs que pour l’organisation. Gilbert le sait tellement maintenant! Et il a bon espoir que la direction de l’entreprise, ayant découvert la valeur de la médiation organisationnelle, ne laissera plus jamais une telle situation se reproduire au cœur de ses équipes.