Deux moines zen s’apprêtaient à traverser le gué d’une rivière, lorsqu’arriva une belle jeune femme. Elle aussi souhaitait traverser, mais elle était effrayée par la force du courant. L’un des moines la prit alors sur ses épaules en souriant et la porta de l’autre côté de la rivière. Son compagnon fulminait : un moine ne doit pas toucher le corps d’une femme! Et tout le long du trajet, il ne desserra plus les dents.

 

Quatre heures plus tard, lorsqu’ils aperçurent le monastère au loin, il lui annonça sur un ton de reproche qu’il allait informer le maître de ce qui s’était passé :

– Ce que tu as fait est honteux et interdit par nos règles!

 

Son compagnon s’étonna :

– Qu’est-ce qui est honteux? Qu’est-ce qui est interdit?

– Comment? Tu ne t’en souviens donc pas? Tu as porté une belle jeune fille sur tes épaules! 

– Ah, oui, se souvint le premier en riant, tu as raison. Mais il y a quatre heures que je l’ai laissée sur l’autre rive, tandis que toi, tu la portes toujours sur ton dos!

 

En relisant cette perle de sagesse, je me suis souvenue d’un commérage. Durant la période des Fêtes, une personne m’a rapporté qu’un membre de ma famille avait été outré par une parole inappropriée que j’aurais dite à son égard… il y a trois ans! J’en ai été ébranlée, et j’ai demandé des détails, sans réponse. J’ai creusé dans ma mémoire, rien de rien. J’ai demandé à mon conjoint, lui non plus n’avait aucune idée. 

 

Difficile d’être désolée ou de s’excuser, d’autant plus que cette personne ne m’a pas parlé de son ressentiment. Au contraire, elle me salue et m’accueille chez elle. Elle porte ce poids du ressentiment alors que moi, pendant toutes ces années, je n’avais rien sur les épaules. Mais à partir du moment où j’ai appris ma « faute », une partie de moi est devenue perplexe.

 

Personnellement, j’aime l’authenticité et les communications directes, mais je peux comprendre que certains sont inconfortables avec cette façon de faire. Je souhaite des relations harmonieuses dans le monde entier, et encore plus dans ma famille. Si, en toute ignorance, j’ai choqué une personne, j’aimerais le savoir. Peut-être que ce commérage est aussi une déformation des faits? Vous savez, le jeu du téléphone arabe…  

 

Alors que faire? Comment résoudre ce problème sans dénoncer la commère? Laisser tomber, ne rien dire et faire comme si…? Puis-je la libérer du poids de son ressentiment et retrouver une authenticité face à elle? Je peux aussi très bien continuer ma vie sans réveiller l’ours qui dort, car sincèrement cette situation ne m’empêche pas de bien vivre.  

 

Et vous, que feriez-vous? Feriez-vous comme le moine qui en a bien ri?