Stéphane me déclare qu’il n’a jamais pensé que Julie irait jusqu’à faire une plainte de harcèlement psychologique contre lui. S’il est vrai qu’ils vivaient des tensions depuis des années, pour lui, c’était simplement des conflits, pas du harcèlement. Pour sa part, Julie mentionne qu’elle n’en pouvait plus de tous ces conflits qui devenaient de plus en plus lourds. L’enquête n’a pas conclu à du harcèlement, mais plutôt à un climat de travail malsain. Comment tout cela est-il possible? Pour mieux comprendre, examinons ensemble le cycle du conflit.

 

Les germes du conflit sont parfois subtils. Cela peut commencer par des irritants ou un sentiment d’exclusion. Ce germe ne prend pas nécessairement place dans le cœur des deux protagonistes. À cette toute première phase, il n’est pas clair que la situation va dégénérer. Les faits agaçants et les divergences d’opinions peuvent s’estomper, se comprendre ou s’expliquer. Puisqu’il s’agit d’une phase de non-dits et de petits malaises, il n’est pas toujours évident de savoir si l’on doit agir. Pourtant, c’est à ce stade que le conflit est le plus facile à gérer.

 

Si l’une ou les deux parties ne désirent pas clarifier rapidement les inconforts ou que cela est fait de manière maladroite, le conflit entre dans une deuxième grande phase : celle de la détérioration des relations. Il y a de plus en plus d’affrontements entre les personnes. Chacune tente de se parler, mais sans plaisir ou succès, quand ce n’est pas carrément la stratégie de l’évitement qui est utilisée. À tort, on croit que le fait d’ignorer l’autre est une bonne stratégie. C’est bien mal connaître la nature humaine. Stéphane et Julie étaient dans cette dynamique conflictuelle depuis près de six ans.

 

À un certain moment, un facteur déclencheur se produit ou le contexte change au point où les personnes ne peuvent plus fuir. Stéphane a été nommé superviseur de Julie, alors qu’il avait toujours été un collègue de travail. Tous deux, pour affirmer leur vision du monde, ont commencé à argumenter de plus en plus et se sont mis à la recherche d’alliés. Julie parlait contre Stéphane de façon peu élogieuse à des collègues. Elle le considérait comme le problème car, selon elle, elle n’avait « presque rien » à se reprocher. Stéphane, lui, devait gérer des changements, et il savait que ceux-ci feraient mal à Julie. Malheureusement, il a manqué de doigté, et Julie lui a fait un procès d’intention. On peut nommer cette grande étape la phase de la coercition, qui comprend les phénomènes d’escalade, de création de clan et d’affrontement.

 

Durant la phase finale, le conflit connaît son dénouement tragique par la rupture, ou ce qu’on peut nommer la « guerre ouverte ». Julie a fait une plainte de harcèlement pour s’en sortir, mais certains quitteront leur emploi, d’autres enverront des mises en demeure, consulteront un avocat ou congédieront un employé. Les comportements deviennent hostiles, et la seule solution envisagée est la défaite ou la disparition de l’adversaire. C’est le divorce hargneux.

 

Le cycle de vie du conflit peut s’étendre de quelques jours à des dizaines d’années. Imaginez-vous ne pas vivre une réelle et complète paix d’esprit pendant aussi longtemps. Après les résultats de l’enquête, j’ai rencontré Stéphane et Julie en médiation. Une autre phase s’amorce, celle de la trêve obligée. L’employeur a enlevé à Stéphane la supervision de Julie. Maintenant, il est clair que, ce que chacun désire au plus profond de lui-même, c’est de retrouver la paix. Je leur souhaite sincèrement, et je la souhaite également à tous, mais il est bon de savoir que la paix se déclenche rarement seule, il faut la vouloir et la susciter.