Émile déteste son collègue de travail parce qu’il lui pose beaucoup de questions sur le travail à faire alors qu’ils ont été formés en même temps. Alice ne supporte plus les comportements de son frère qui n’assure pas, selon elle, une présence de qualité auprès de leurs parents âgés. Jules a déposé une plainte au propriétaire de son logement parce que sa voisine possède un chien qui jappe au moindre bruit. Béatrice vit beaucoup de colère face à Jean-Philippe qui lui fait des blagues à caractère sexuel, lui montre des photos de lui torse nu et l’invite à son appartement pour passer de « belles » soirées.
En médiation, il m’arrive souvent de me retrouver face à une personne qui ne tolère plus l’autre, qui désapprouve ou condamne telle parole ou tel comportement. Curieusement, le sujet de la tolérance n’est presque jamais abordé directement. Peut-être parce que c’est un concept qui apporte son lot de sensibilité et de difficulté de compréhension ?
Mais qu’est-ce que la tolérance ? Selon certains philosophes, il s’agit d’une vertu qui exige des personnes tolérantes de faire appel à des vertus complémentaires, par exemple la charité, la justice, la prudence, la flexibilité et la patience. Grâce à son expression, nous pouvons mieux vivre ensemble et de manière pacifique dans nos sociétés démocratiques. La tolérance demande de la patience et de l’écoute, car elle favorise les échanges d’idées, les critiques et les débats politiques. Cela signifie que l’on peut être en désaccord avec les opinions ou les préférences de l’autre, tout en les acceptant de manière respectueuse. Supporter ou endurer avec colère, ce n’est pas tolérer. C’est simplement mettre un couvert sur une situation qui explosera un jour ou l’autre.
Peut-être pensez-vous que c’est exigeant, mais l’effort en vaut la chandelle. En fait, accepter la différence de l’autre peut favoriser : la suppression des barrières; la paix intérieure et extérieure; la diminution du stress et des maladies qui en découlent; l’atteinte du bonheur pour tous.
La question primordiale est de savoir si on doit tout tolérer ! Béatrice, devrait-elle tolérer le harcèlement sexuel de son collègue ?
Absolument pas ! Même si elles sont difficiles à tracer, il existe des limites à la tolérance, sinon nous dirions adieu à la paix, à la sécurité et à la justice. Ce n’est pas souhaitable, car trop de tolérance apporte le chaos. Toutefois, il n’y a pas de réponses claires, seulement des réflexions et des interrogations que le médiateur peut aborder avec les médiés, notamment :
- L’intolérance est-elle le fruit d’une personne inflexible, impatiente ou peu charitable ? Avez-vous déjà remarqué que certaines personnes ou certains groupes sont intolérants à presque tout ? C’est le cas d’Émile.
- L’intolérance provient-elle de faits déformés, d’une perception, d’une interprétation sur l’autre ou du jeu des biais cognitifs ? Alice traite son frère d’ingrat à partir de ses propres perceptions, alors qu’il lui manque des informations importantes !
- L’intolérance est-elle le fait de plusieurs personnes envers une même situation ? Il y a des choses qui sont socialement inacceptables. Dix locataires sur quinze ont signé la pétition dénonçant les aboiements excessifs. Mais attention ! Le nombre n’est pas une garantie, car il existe des groupes intolérants comme les extrémistes !
- L’intolérance concerne-t-elle la violation de lois claires ? Béatrice n’a pas à tolérer le harcèlement, comme nous n’avons pas à tolérer dans nos sociétés démocratiques les fraudeurs et les tueurs !
Alors, comment s’y retrouver ? Premièrement, par un examen de conscience honnête et par le fait d’accepter de se remettre en question. Personne n’est parfait et nous ne pouvons pas exiger des autres qu’ils soient comme nous !
Deuxièmement, par l’ouverture d’un véritable dialogue avec l’autre, ce qui exige de l’écoute, de l’ouverture d’esprit ainsi qu’une saine curiosité.
Troisièmement, par l’information et la recherche des faits, des critères objectifs, des lois, des règlements, des us et coutumes, et du contexte. Gifler un enfant est acceptable dans certains pays, alors qu’au Canada cela est jugé condamnable ! L’argument de la « légitime défense » existe même pour un meurtre !
Dans ces trois étapes, le médiateur peut susciter une réflexion et orienter des discussions; il n’a pas à prononcer les mots « tolérance » ou « intolérance », mais simplement à faire surgir plus de clarté et d’éléments de réflexion. Grâce au dialogue, l’intolérant pourrait changer d’idée et tendre une poignée de main en signe de paix. Qui sait ?
Si vous désirez approfondir davantage le sujet :
Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, 1945;
André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, 1995.