Il se nommait Sévère. Imaginez porter un nom aussi lourd de sens! Il aurait eu 92 ans cette année, mais il est décédé d’un cancer il y a 17 ans. Papa a été maltraité physiquement et psychologiquement par sa mère et ses aînés. À 14 ans, il est devenu bûcheron et probablement qu’à la même époque, il a fait connaissance avec la bouteille, pour ensuite sombrer dans l’alcoolisme. Il a rencontré ma mère, qui avait elle aussi subi une enfance traumatisante. Ces deux êtres ont fait leur possible, mais après 23 ans de mariage et la naissance de six enfants, ils ont divorcé dans la colère. Ce n’est pas pour rien que je suis devenue médiatrice!
Je n’ai pas de bons souvenirs de mon père alors que j’étais enfant, et il m’arrivait de le trouver détestable. Chaque phrase de Sévère s’accompagnait d’un sacre. Il était hyper négatif, amer et très souffrant et, surtout, pas question de thérapie. Tout de même, il avait brisé une certaine violence en lui, car jamais il n’a levé la main sur ses proches.
De 13 à 18 ans, je ne voulais plus le voir, puis tranquillement nous avons reconstruit les ponts. Un vendredi soir, alors que j’avais 37 ans, il me téléphona pour m’annoncer son cancer des poumons. Il n’y avait rien à faire. Je me suis mise à le rencontrer plus souvent et j’ai enfin découvert un être aimant, sensible et vulnérable, le père que j’aurais aimé aimer. En six mois, la maladie a détruit sa carapace et sa hargne. J’ai découvert qu’il aimait profondément ses enfants à sa manière maladroite et sans déclaration d’amour. Je vous écris à son sujet parce que je parle brièvement de Sévère dans ma conférence Améliorer les communications au travail et que chaque fois des gens me remercient pour mon témoignage.
Mon père m’a laissé l’un des plus beaux héritages qui soient, celui de la tolérance et de la généreuse curiosité. Il m’arrive de rencontrer en médiation des personnes en colère ou que la société condamne pour leurs actions. Et alors, je me demande toujours : du bébé naissant à cet adulte hurlant de rage, quel drame s’est tissé? Je tente de me connecter à leur humanité.
Les neurosciences ont mis à jour le fait que la nature profonde de l’être humain en serait une d’altruisme et d’empathie. Peut-être que je réagirais pareil, ou même pire? Je n’excuse pas l’inexcusable, car il y a des limites à ne pas dépasser. On peut avoir raison de se protéger et de s’éloigner d’elles, je l’ai fait face à mon propre père. Toutefois, j’attire votre attention sur le fait qu’en changeant son regard sur ce genre de personnes, nous pouvons arriver à toucher le cœur qui bat derrière l’armure.
Plus j’en apprends sur la nature humaine, plus je réalise que nous avons tous des parties de nous en souffrance. J’ose affirmer que c’est probablement ces parties mal aimées qui provoquent des fermetures, de mauvaises communications et des conflits avec notre entourage. Le reconnaître serait déjà un pas énorme. Tout ne dépend pas que de l’autre! Qu’en pensez-vous?